• Un poème de Saadi

    SAADI ( Poète persan) - Poème

    En un soir, tout s’en va : les fleurs n’ont plus d’odeur, plus de vent embaumé pour frôler des pétales, plus rien ; et souffre un cœur.
    En un soir, on est seul. Pleure un pleur le long d'un nez; il roule en un souris, sûr, puisqu’il ne faut jamais être triste.
    En un soir, en un espoir, en un repos pour un chagrin. J’ai pris ma feuille rose pour parler d’un jour gris.
    Parler de l’avenir avec espoir, sans en avoir ; parler des autres, et pour les yeux.
    En un soir et pour une ouverture. Ouvrir… On ne voit rien ou bien trop tard, on ne sait pas, on ne sait plus.
    En une nuit pour un espoir, qu’on recueille entre ses bras et qu’on garde bien au chaud, entre ses bras.
    En un soir, entre ses bras, en une image qui me fuit, en un rêve qui se détruit, en fleurs fanées pour un printemps… Pauvres immortelles, vous mourez sous la poussière.
    En un soir, en une pluie, en une larme… Je t’aime bien sûr, le sais-tu ? Je vois un ris sous ta paupière, et le vieux singe que je suis ravale son mot, en un sanglot… Non, non, non : c’est un rire.

    Je t’aime. Je l’ai dit et bien sûr dit bien souvent. Comme un mot répété, il a perdu son sens. Je le dis à chaque fois, et je mens. Non, je n’aime pas, ce n’est pas vrai… c’est un caprice.
    Je t’aime… Je crois que je vais analyser, froidement, au scalpel. Je fourrage, je découpe dans le mot de mes sentiments. Je détruis. Plus d’image et plus de mot. Je ne veux rien garder, puisque je mens.
    En un soir, je sens triste. Espoir décomposé et images effeuillées, je garde pour mon rêve un rêve irréalisable. Alors, je construis.
    Je construis ? Non, non, je mens, encore et toujours, parce que je détruirai ensuite, mieux que jamais. Les souvenirs quand vient le soir sont d’un calme lancinant.
    En un soir, en une nuit, en une larme, en un sanglot. Je ramène quelques mots, perdus dans ma mémoire et quelques images que je colle. Avec un grand lit blanc, dans une chambre blanche, avec des rideaux blancs, et un jour blanc, des peaux toutes blanches et de grandes plantes vertes. Un corps blanc.
    En un soupir. Le rêve s’abandonne, je l’abandonne. En quelques impressions idéalisées, une campagne laiteuse, dans un demi-jour baignant dans un brouillard, avec la pluie qui larme goutte à goutte et les feuilles qui pleurent blanc en un son blanc. Nuit sans sommeil.
    En un ennui, en un soir, en un stylo, et des angoisses et des sanglots et des soupirs. Il faut écrire et oublier, et laisser la main courir sur le papier, et me laisser écrire que je t’aime, même faux et même idiot.
    Je t’aime. Oui, je t’aime pour la nuit blanche et pour le souvenir laiteux d’un soir de coton. Je voudrais te le dire en souvenir et en rêve. Car mon amour n’existe pas ; il se construit et se détruit, fidèle à une mort latente et un espoir déçu.
    En un cri, je t’aime ! J’entends tes pas tout près de moi et tes yeux noirs, je les entends me dire mille choses dans un recueillement effronté. J’entends chaque pulsation de ton cœur qui résonne en immense cathédrale.
    J’entends et j’enregistre, puisqu’en un cri la vie se meurt en raccourci.
    En un aveu : je t’aime ! Tu n’en sauras rien, puisqu’il le faut bien et qu’il faut oublier qu’on sait et qu’on s’est souvenu. J’attends ton mouvement et te tendrai les bras, en un grand signe de ma croix. Parce que je t’aime. Où m’as-tu vu et qu’as-tu su ?
    Pour mon désir, je t’aime… C’est sûr. Pour un repos et un bonheur, pour long temps de malheur. L’amour est malheureux, car le partage ne se peut… on ne le veut.
    J’écris ça, noircissant du papier en mensonge de moi, hésitant par devers moi… Pourquoi ?
    Pourquoi un soir comme tant d’autres, en un souffle de regrets, j’embrasse des amours mortes pour pouvoir encore y rêver ? Pourquoi ma voix, pourquoi ma peine ? Je ne peux pas t’oublier.
    En un soir où je suis moi, les questions vont et s’enchaînent, en découverte d’un autre moi, de découverte en découvertes. Parce que je t’aime et que j’entends ton pas qui sonne et marche – qu’il résonne ! – battant mes flancs, battant dans mon cerveau, en attente. Car il attend, car j’attends.
    Le temps se bat – avec des âges. Parce que je t’aime et qu’il ne le faut pas, parce que la glace me renvoie une image, une image qui ne me plaît pas. Avec un rêve où je suis beau. Même ainsi je repousse mon espoir ; parce que je t’aime et qu’il ne le faut pas. Tu as vingt ans, j’en ai soixante, j’ai trop vécu et suis le sphinx.
    Pour toi j’ai oublié. En un soir, bien sûr…
    En un soir, j’ai effacé l’ardoise d’un coup d’éponge, j’ai… Je mens encore et me le dois. Car tout mon souvenir, rien ne l’effacera…
    Je referme mon cœur de plomb, et chaque battement décroît sur le plafond. Triste, ce battement… Le rêve se suicide. Et son encre s’écoule en caractères humides sur le papier, noir éternellement.
    Ce n’est qu’un souvenir… en un soir, cependant.
    Dehors, il y a la nuit, qui frappe sur ma porte, la longue nuit, vêtue de blanc dans son linceul. Sans mouette  ni alouette et sans réveil ; car il pleure, ce dehors. Il pleure en un roulement triste et lent, mesuré, timide.
    La nuit n’est pas venue, ni son ivresse de gin. Elle s’est assise sur un banc, dans la rue, à la clarté d’un pâle réverbère. Blanche comme une mariée, mon amour… blanche comme une morte, pleurant toute sa neige. La plaine se couvre d’un manteau, car tout est blanc.
    La nuit n’est pas venue, en ce soir. Et je suis seul, et je t’aime. J’ai séché le papier avec un buvard blanc et j’ai perdu mon livre blanc. La nuit… elle n’est pas venue. Le ciel se meurt, car il fait froid et il fait peur.
    Parce que je t’aime et me souviens, et je dois t’oublier demain. Avec toi toute la nuit, à te serrer dedans mes bras, à te garder tout contre moi, à t’aimer… peut-être malgré toi.
    Mais la nuit n’est pas venue et je suis seul avec mes caresses, et la chaleur de mon amour, et le nid qui
    n’attendait que toi ; et je suis seul avec tout un rêve, et je suis seul avec tout un mal, puisque la nuit n’est pas venue.
    Puisque la nuit n’est pas venue, puisque les arbres n’ont pas verdi, puisque le ciel n’a pas blanchi, puisqu’un oiseau n’a pas chanté, puisque je t’aime, je n’ai pas encore pu t’oublier. Et je t’attends avec la nuit, la nuit des autres, et leur télé, et leur néon et leur confort, et leur amour, et une lampe qui brille dans une chambre  rouge. Et je t’attends avec le petit matin, avec la rosée, avec le soleil… mais rien n’est venu.
    Rien n’est venu parce que je t’aime, et que mon cœur est dans ton cœur, puisque ta peine est dans ma peine, puisque ta joie s'est faite mienne. Je t'aime en souvenir - c'est une belle histoire – : Viens !
    En un soir, c’est fini. La nuit est arrivée, le charme s’est rompu, la peine s’est cassée. En un soir, et sans pluie et sans pleurs. Je ne t’ai pas aimé, pas adoré, toi le soir qui descend. Toi, l’ombre chère, je ne t’ai pas aimée.
    Je n’ai pas entendu battre ton cœur, je n'ai pas entendu ton âme respirer.Sur tes lèvres, un baiser… Et j’ai goûté ton âme. Saveur triste d’infini, de rose qui se fane. Comme ton sourire qui vient de se faner. Je ne t’ai pas aimé, souvenir adoré.
    Et tes lèvres sont rouges. Et j’ai goûté ton cœur, l'espace d'un miroir. Et le miroir m'a dit que je me trompe souvent. Que la vie, la beauté, l’odeur, le goût des choses, tout passe et tout s’oublie, fors le parfum des roses.
    J’ai pris un magnolia fleurissant doucement, j’ai composé ses fleurs, j’ai tué mon tourment. Sur la table
    aujourd’hui, un pot de roses rouges. Le parfum m’en revient, en ce soir, sur tes lèvres. Car je t’aime, si tu veux ; car je mens, mon cœur dans tes cheveux.
    J'effleure tes cheveux, je t'embrasse, je t'aime. J'écris un chant d’amour d’où je bannis la haine. J’écris mes sentiments, barre la conclusion. Je t’aime, c’est ainsi : c’est mon absolution.
    J’écris un chant d’amour et tu es mon poème. Tu es mon chant de vie : je t’aime ! Ce soir, il a fait bon : j’étais  auprès de toi. Rien d’autre n’existait ; seuls : toi et moi.
    Sur la table, des roses rouges. Et tes lèvres, en rose rouge. C’est un cœur où je me noie. Et tes doigts entre mes doigts. C’est ta main dedans la mienne. C’est ton âme contre la mienne.
    En un soir il fait beau. Tu es une clarté. Et ton corps a rosi. Et ton corps est troublé.
    J’ai offert des roses blanches. J’ai gardé un peu de sang – partagé, t’en souvient-il ? Et ce soir dans l’aube blanche, dans un souvenir troublant, je serre sur mon cœur des roses rouges.
    De mes doigts coule du sang.

     

    Source : http://clairobscur.blogspirit.com/archive/2006/03/24/saadi-poete-persan-poeme.html

     


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